Pasque

C'est fête ce jourd'huy. On célèbre la pasque du Seigneur. Enfin on va pouvoir ripailler après ces quarante jours de jeûne qui ont ben mis la peau sur les os car le labeur n'attendions point la ripaille. Chacun s'est accôutré de son biau bliaud de coutil et de son fasset brodé. Les rustauds des charbonnières sont descendus pour donoyer la donzelle et entonner les jacquelines de guiguet. Les éventaires des nombreux colporteurs regorgent de cottes de bourras, de fauchons et autres affûtiaux. Ce jour chacun pourra fatrouiller et boiser selon son bon vouloir. Nombre liards changeront de mains. Gelines et belins graillent dans l'allée des tosteurs où on peut odir leur boniment pour alpaguer le chaland.
C'est fête ce jourd'huy. On célèbre la pasque du Seigneur. Enfin on va pouvoir ripailler après ces quarante jours de jeûne qui ont ben mis la peau sur les os car le labeur n'attendions point la ripaille. Chacun s'est accôutré de son biau bliaud de coutil et de son fasset brodé. Les rustauds des charbonnières sont descendus pour donoyer la donzelle et entonner les jacquelines de guiguet. Les éventaires des nombreux colporteurs regorgent de cottes de bourras, de fauchons et autres affûtiaux. Ce jour chacun pourra fatrouiller et boiser selon son bon vouloir. Nombre liards changeront de mains. Gelines et belins graillent dans l'allée des tosteurs où on peut odir leur boniment pour alpaguer le chaland.

Profitant du jour chômé, Isabeau a décidé de guerpir la ferme où elle fait la journalière avec sa fille.
La petiote est ben appliquée à son ouvrage et rechigne pas à la tâche. Mérite ben d'voir aut'chose achteu. s'est-elle dit.
Elles sont parties peu avant mâtines pour avoir de bonnes places dans la cathédrale qui sera comble pour l'occasion.

Debouts derrière un pilier, elles ne peuvent que lutter contre la pression de la foule restée sur le parvis qui boute pour tenter malgré tout d'entendre le sermon de monseigneur qui tance ses ouailles contre la tentation de francherepue arguant que la gourmandise est péché capital. Isabeau se dit que si elle suivra les admonestations du père évêque ce n'est point pour le salut de son âme mais celui de son écot qui ne lui permettra que l'habituelle bouillie de cévade et d'avoine abrayés. La presse se fait plus forte. L'ite missa est est proche. Les célébrants, l'évêque en tête, remontent la travée centrale derrière la châsse de Saint Martin. La procession des fidèles se forme à leur suite.

Ayla est émerveillée par tout ce qu'elle voit. Le tonnerre des grandes orgues qui lui a meurtri les oreilles au début de l'office lui maintenant semblable au chant du ruisseau sur la pierre de la font. Les ors des chasubles emplissent de leur doux chatoiement les yeux de la fillette. Jamais encore elle n'a vu tant de monde en même temps, elle serre la main de sa mère pour ne pas la perdre. Paysans et journaliers, maîtres artisans et apprentis, chacun cherche à sortir à la suite du clergé. Pressée de toutes parts, elle suit sa mère qui se fraye un passage à travers la foule. Mais elle trébuche et lache la main de celle-ci pour ne pas choir. Emportée par la foule tel un fétu de paille par le vent, elle ne peut que la perdre des yeux. Bousculée violemment, elle chute durement sur la dalle froide. Elle commence à trouiller et craint de périr écrasée comme on lui a narré que cela s'était déjà produit il y a quelques années. Elle sent soudain qu'on la prend par les épaules et qu'on la remet d'aplomb sur ses pieds. C'est un de ces rustauds de charbonnier sorti de sa forêt pour le jour. Il n'a pas attendu la fin de l'office pour licher et puire la vinasse à quinze pas.



Mais c'est qu'elle est joliette la mignotte souffle-t-il à l'oreille de l'enfant qui ne trouve aucun échappatoire à la poigne de fer qui emprisonne son bras. Tente vainement de se défaire de cette emprise quand une voix tranchante qui lui est familière interpelle le ruffian:

Lache ma fille ou j'appelle la prévôté qui t' f'ra brancher à une corde qui n'viaut plus qu'té!

Etonnée que sa fille ait laché sa main alors qu'elle lui avait intimé de ne pas la quitter, Isabeau avait eu toutes les peines du monde à remonter à contre-courant de la foule pour la retrouver enfin aux mains de ce golaird de la forêt. A ses mots, elle le vit lacher la petite qui semblait apeurée et se retourner vers elle.

Toi la coursière m'prêch pas de c'te manière lâ. Ai la souvenance d'un jour où tu m'prêchais meilleur. Et fais toi pas ta janceresse, j'savions ben tous deux qu'l'prévot est au louan, occupé qu'il est à ben aut'chose ce jourd'huy.

- Laissez les aller en paix mon fils.

Ces paroles venaient d'un franciscain qui se ternait à côté d'eux et qui avait surpris l'algarade.

-J'faisions ri d'mal mon père. J'causions juste à mio payse.

-Elle semble ne pouvoir vous souffrir plus avant. Laissez la.

-Mais mon père...

-Laissez la vous dis-je et vaquez à occupations. Il me semble que tous les fûts de guinguet n'ont pas tous encore été mis en perce.

Le goliard alla se perdre parmi la foule qui se dispersait peu à peu non sans se retourner pour décocher un regard chargé de haine et de paillardise à Isabeau.

Mon père, je...

- Ne dites rien la coupa-t-il Je n'ai fait que mon devoir. Prenez garde à l'avenir ma fille. Ceux de la forêt ne sont pas toujours les meilleurs compagnons d'oraison. Allez en paix, vous et votre fille.


Il les bénit puis se dirigea vers le portail, se mêlant au reste des fidèles.

Sans un mot, Isabeau prit la main de sa fille et sortit avec elle sur le parvis de la cathédrale. Il ne fallait plus songer à se joindre à la procession désormais, elle était fort loin et ses derniers rangs que l'on apercevait encore n'étaient point parmi les plus sûrs, nombre de rapineurs y ayant leurs offices.
Le parvis était dégagé sur un large espace que gardaient les soldats de la prévôté. Au centre de cet espace se dressait un fagot haut comme deux hommes sur lequel était planté un unique mât. On devait arder plus tard dans l'après-midi une gueuse que l'on avait prise à égorger un poulet un soir de pleine lune. Passée à la question, elle avait avoué à ceux qui la malementaient avoir envoyé le mauvais oeil sur le seigneur voisin qu'un mal mystérieux avait emporté subitement durant l'hiver. Pour l'heure, elle attendait en chartre le moment de comparaître devant le Juge Suprême.

La femme et la fillette s'éloignèrent quelque peu de l'agitation qui règnait pour aller prendre place sur un banc de pierre non loin de la font. Là, elles prirent la frugale repaissance qu'elles avaient apportées. Après s'êtres désaltérées à l'eau de la font, elles revinrent vers le lieu de la fête. Isabeau fit voir à sa fille les jongleurs et autres cracheurs de feu. Mais ce qui retint plus particulièrement l'attention de l'enfant fut le montreur d'ours qui faisait danser son pesant compagnon au son d'une flûte aigrelette.
Un mot courut parmi la foule la sorcière...la sorcière.
La sorcière avait quitté la geôle où on l'avait enchartré. Comme mûe par une seule volonté, un seul esprit, un seul désir, la foule commença à se rassembler autour du fagot.

Jouant des coudes pour s'assurer une bonne place, Isabeau entraîna sa fille jusqu'au premier rang. La condamnée arrivait, pieds nus, en chemise, protégée de la vindicte populaire qui s'intensifiait par quatre soldats en armes.
Ayla observait d'un oeil intéressé celle dont on disait qu'elle crucifiait les enfants avant de les dévorer. Elle ne semblait pas si différente d'une vraie femme. Elle le dit à sa mère.

C't'un tour du Malin pour faer les néfants de Dieu. Montre ben sa perfidie. T'y fie toi pas. Paraît ben piteuse mais c'pour mieux lober l'monde.

-Mère, pourquoi va-t-elle pieds nus?

-Quand l'carnade vindra la prend', s'ra aussi d'pouillée qu'l'jour où l'monde l'a vu pointer son sale nez. Ce n'estions point la peine d'gâcher d'belles cauches pour une telle engeance du démon.

Elle se signa quand la condamnée passa devant elles.

Arrivée au pied du fagot qui l'attendait, icelle le regarda d'un air de défi et se laissa guider sur l'étroite échelle qui menait à son sommet. Les soldats l'attachèrent solidement au pieu de chêne qui se dressait fièrement vers la voûte azurée de ce printemps naissant. au prêtre qui lui enjoignait de recommander son âme à Dieu, elle répondit par des injures et des blasphèmes. La clameur qui s'élevait de la foule s'accrût encore. Ayla ne comprenait pas qu'un soldat ne la mortisse point de suite de sa lance en réponse aux blasphèmes qu'elle proférait. Ils restaient de part et d'autres du fagot, attendant on ne savait quel signal.

Le lieutenant de la prévôté estima que cela suffisait comme cela. Il craignait que la populace vint à se ruer sur la condamner pour la tailler en pièces si le suppplice ne commençait pas bientôt. Ayant mandé l'autorisation de réchaudir l'atmosphère, il ordonna de bouter le feu au bûcher. Une torche embrasée fut approchée du fagot auquel elle commmuniqua sa douce chaleur. La flamme haute et claire monta, emplissant les yeux ébahis de l'enfant devant tant de magnificence. Toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, tantôt présentes, aussitôt disparues. La fumée légère dessinait de volupteuses arabesques dans la lumière du soleil déclinant. Des étincelles, tels des papillons de feu, s'envolaient et venaient se poser sur la sorcière et allumer de petits foyers dans sa sombre chevelure. Le crépitement joyeux du feu semblait plus beau même que les grandes orgues de la cathédrale à la fillette qui tentait de réfréner une irrépressible envie de rire devant un tel émerveillement. Les flammes léchaient le bas de la chemise de la sorcière quand une étincelle plus vaillante que les autres s'éleva et vint y porter lumière et chaleur.

Ayla joila d'un grand rire le cri horrifié de la condamnée qui voyait ces langues de feu la consumer. Isabeau sursauta et regarda d'un air effaré sa fille qui ne pouvait contenir sa joie. Elle-même ne goûtait que peu ce spectacle même si elle estimait que ce n'était que justice. La petite semblait, elle, y prendre un plaisir pervers qu'elle n'aurait jamais soupçonné chez une enfant si calme d'ordinaire. Sa fascination pour le brasier et son oeuvre était-elle la joie légitime devant l'action de la justice divine ou bien l'affirmation d'un démon qui la posséderait? il lui faudrait en faire part part à messire le curé. Il serait surement de bon conseil.

Le brasier était d'une telle intensité que la foule avait dû reculer, ne pouvant supporter une telle chaleur. Puis, elle décrût lentement. La sorcière était morte. Les braises mettraient des heures à se consumer totalement. Le soir tombait. La foule se dispersa peu à peu.

Isabeau et Ayla reprirent le chemin de la ferme où elles travailleraient pour quelques jours encore. Après, il faudrait s'en retourner sur les chemins quérir l'ouvrage et le gîte. Isabeau pensait convoier vers l'est. Peut-être trouveraient-elles à s'employer lors des grandes foires au nord-est de Paris.
La petite semblait être sortie de son exaltation mais affichait un sourire béat qui n'en inquiétait pas moins sa mère.
Source : Ayla

Réactions


Personne n'a encore réagi. Soyez le premier.